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La réinvention des clauses de médiation préalables en matière prud’homale

  • 27 Jul 2022

La cour d’appel de Colmar a sollicité l’avis de la chambre sociale de la cour de Cassation dans les termes suivants :

« La convention instituant un préliminaire obligatoire de médiation s’impose- t-elle au juge du fond dès lors que les parties l’invoquent et doit-elle en conséquence entraîner l’irrecevabilité d’une demande formée sans que la procédure de médiation ait été mise en œuvre? »

Avis la chambre sociale de la cour de Cassation du 14 juin 2022 n° 15006 P+B au visa de l’article L. 1411-1 du code du travail

« PAR CES MOTIFS, la Cour :

EST D’AVIS qu’en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend. »

La cour de Cassation vient de rendre un avis qui apparait sans surprise.

La chambre sociale de la cour de Cassation a rendu un arrêt le 5 déc. 2012, n° 11-20.004 au visa de l’article L. 1411-1 du code du travail

« Attendu cependant, qu’en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de conciliation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend ; »

Est-ce à dire que la clause de médiation préalable à la saisine du juge prud’homal insérée dans le contrat de travail serait nécessairement privée d’effet et de sanction ?

Une réponse négative sur les deux points doit, semble-t-il être apportée.

L’article L1411-1 du Code du travail dispose :

« Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.

Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti. »

La clause de médiation préalable n’est pas privée d’effet

En matière de droit du travail il faut faire une différence entre l’accès au juge qui ne peut pas être restreint par une clause de médiation préalable et l’accès au juge du fond.

La procédure prud’homale est divisée en deux, la phase de conciliation et la phase de jugement.

La cour d’appel de Colmar demande à la cour de Cassation si la clause de médiation préalable peut s’imposer au juge du fond. La cour de Cassation ne répond pas à la question posée. Elle dit simplement que la clause de médiation préalable n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend.

C’est-à-dire qu’en présence d’une telle clause les parties au contrat de travail peuvent déposer au greffe une requête introductive d’instance sans avoir à mettre en œuvre la clause de médiation. Cette requête ne va pas saisir le juge du fond mais exclusivement le bureau de conciliation et d’orientation (BCO). Car en droit du travail ce n’est pas la requête qui saisit le juge du fond mais le BCO, dans sa fonction d’orientation, lorsqu’il constate l’échec de la conciliation préalable et obligatoire. « Il [le juge du fond] juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti. »

La clause de médiation préalable est inopposable au BCO, mais pour autant l’est-elle au bureau de jugement ?

La cour de Cassation n’a ni tranché ni donné un avis sur cette question qui reste ouverte.

Or il n’apparait pas de contraintes générales ou propres à la matière prud’homale qui puissent s’opposer au jeu de la clause de médiation préalable.

La conciliation prud’homale et la conciliation par un conciliateur n’ont pas la même nature et plus encore la médiation.

En matière prud’homale le conciliateur est un juge (deux en réalité) et il a de ce premier point de vue une nature radicalement différente du médiateur.

Les conciliateurs prud’homaux ne sont pas indépendants puisqu’ils sont membres du tribunal. Ils ne sont pas neutres car chaque conseiller est élu sur une liste syndicale ou patronale avec pour objectif de défendre les intérêts de leurs adhérents respectifs. De ce fait ils ne sont pas davantage impartiaux.

Ils ne cherchent pas à favoriser la recherche d’un accord mutuellement satisfaisant par les parties elles-mêmes mais les incitent à en conclure un même s’il reste déséquilibré

ou non satisfaisant. Le BCO peut même fixer une indemnité forfaitaire dans les conditions précisées à l’article Article L1235-1 du code du travail.

Le temps de la conciliation prud’homale ne permet pas de rétablir le lien entre les parties.

La comparution des parties en personnes n’est pas obligatoire.

Les conciliateurs prud’homaux ont aussi des attributions juridictionnelles car ils sont également bureau d’orientation.

Lorsque l’affaire n’est pas en état d’être jugée devant le bureau de jugement, celui-ci [le BCO] peut assurer sa mise en état (article L1454-1-2 code du travail).

C’est à cette occasion que la partie qui souhaite (qui doit) se prévaloir de la clause de médiation préalable doit en faire la demande et le BCO devra en tenir compte dans la mise en état du dossier

L’insertion d’une médiation conventionnelle entre le BCO et le bureau de jugement permet de mettre à profit le temps souvent long entre la date de la tentative de conciliation et la date de jugement.

Cette médiation conventionnelle peut permettre en cas d’accord de signer un protocole médiationnel par acte d’avocat.

Mais en cas de saisine directe du bureau de jugement la clause de médiation préalable doit-elle s’appliquer ?

Le code du travail recense neufs cas de saisine directe du bureau de jugement (requalification de contrats (CDD, mission, stage) en CDI, requalification de la rupture du contrat de travail, en cas de liquidation ou redressement judiciaire de l’employeur, etc…)

Cette saisine directe est souvent une forme de procédure d’urgence pour laquelle il est demandé au juge de statuer à très bref délai (en général un mois).

L’article 54 du code de procédure civile dispose

« La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties.

A peine de nullité, la demande initiale mentionne : [ …]

5° Lorsqu’elle doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure

participative, les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative. »

L’article 750-1 du code de procédure civile est inscrit au chapitre des dispositions communes à la saisine du tribunal judiciaire.

L’article R1451-1 du code du travail dispose

« Sous réserve des dispositions du présent code, la procédure devant les juridictions prud’homales est régie par les dispositions du livre premier du code de procédure civile. »

Ainsi l’article 750-1 du code de procédure civile dispense les parties de tentative de médiation préalable lorsque

« Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants : […]

3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative (…) »

L’avis de la cour de Cassation du 14 juin 2022 n’a pas privé de son efficacité la clause de médiation préalable insérée dans le contrat de travail mais invite à en réinventer les contours et les effets.

Ainsi l’avis rendu par la cour de Cassation le 14 juin 2022 n’a ni vocation ni pour conséquence de priver d’effet la clause de médiation préalable inscrite dans un contrat de travail ou dans une convention.

La clause de médiation préalable n’est pas privée de sanction

La clause de médiation est un préalable amiable contractuellement organisé afin d’éviter que le différend ne se mue en litige.

L’objectif d’une clause de médiation préalable ne doit pas être un moyen de provoquer une chausse-trappe procédurale visant à l’irrecevabilité de la demande.

L’article 1104 du code civil dispose :

« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. ».

Il est de la responsabilité des rédacteurs des contrats de s’y conformer.

L’article 750-1 du code de procédure civile Modifié par Décret n°2022-245 du 25 février 2022 dispose :

« A peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros […]

Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :

[…]

4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ; »

Ainsi les litiges prud’homaux dont la demande n’excède pas 5000€ sont seuls confrontés à la sanction de l’irrecevabilité à défaut de mettre en œuvre la clause de médiation préalable entre l’audience de conciliation et le bureau de jugement.

Mais ce sont aussi les litiges qui ont le plus de chance de se résoudre en conciliation surtout si les parties ont conscience qu’il faudra aller en médiation en cas d’échec de la

conciliation et ne pas forcément bénéficier du renvoi en formation restreinte du bureau de jugement.

En cas d’irrecevabilité le demandeur ne risque pas la prescription puisqu’elle a été interrompue par la requête introductive.

Et en l’absence de prescription il pourra procéder à la tentative de médiation avant que le juge ne statue au fond (article 126 du code de procédure civile) ou reprendre sa procédure depuis le début.

L’irrecevabilité ne privera pas le justiciable de l’accès au juge.

Pour les autres litiges individuels du travail, hors les saisines directes du bureau de jugement (voir supra), le 4ème alinea de l’article 750-1 du code de procédure civile dispense les parties d’une tentative de médiation préalable.

Cela ne veut pas dire pour autant que la clause conventionnelle de médiation préalable est neutralisée.

L’absence de sa mise en œuvre n’emporte pas l’irrecevabilité de la demande. Mais pour autant cette absence de mise en œuvre peut ne pas rester impunie.

C’est le droit des contrats à l’aune de la réforme de 2016 qui trouvera à s’appliquer. L’article article 1104 du code civil dispose :

« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. ».

L’article 1103 du Code civil dispose

« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Les contrats valablement conclus tiennent également lieu de loi au juge. Libre au législateur d’autoriser toutefois le juge à pénétrer dans la sphère du contrat à l’occasion de son inexécution.

L’article 1231-5 du code civil dispose :

« Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

[…]

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »

Il s’agit ici d’un retour du droit des contrats général dans la sphère prud’homale.

Il appartiendra aux parties lors de la rédaction du contrat de fixer les règles d’application du régime de la clause de médiation préalable comme cela existe déjà en matière de clause de non concurrence.

En conclusion le rédacteur de la clause de médiation préalable aura intérêt à préciser que cette clause ne prendra effet qu’en cas d’échec de la tentative de conciliation, de rappeler les dispositions du code civil et de fixer le montant des dommages et intérêts dus en cas de non-respect de la clause ; plus il sera précis sur l’évaluation du préjudice moins le juge n’interviendra dans sa régulation.

Ainsi sans avoir le pouvoir de priver les parties de l’accès au juge la clause conventionnelle de médiation préalable trouve sa place dans le contentieux prud’homal en insérant un MARD, Mode Apaisé de Restauration du Dialogue, entre la conciliation et le bureau de jugement, renforçant l’esprit de la matière prud’homale.

Emmanuel DURAND, MEDIACCORD et médiateur adhérent du groupe Médiation-NET.